Vivre en écolieu : 10 apprentissages clés sur la vie en collectif [Bilan de voyage 1/2]

Été 2023. Sur un coup de pouce de la vie, je prends une décision : cet automne, je vais visiter les oasis. Après avoir passé 3 ans à rêver de vivre en écolieu, après avoir sauté le pas d’emménager dans un collectif urbain… Il est temps de visiter ces alternatives. Il est temps pour moi de voir, de vivre les multiples possibles des communautés engagées.

Ce qui m’intéresse ? Comprendre comment vivre et créer ensemble, au service des individus, du groupe, et plus largement du territoire et du monde (quitte à rêver, autant rêver grand). Et puis, en toile de fond : comprendre comment moi je vais et veux vivre en écolieu. Affiner mon projet de communauté, confirmer ce qui me correspond au quotidien, découvrir d’autres pistes d’engagements… Et faire des rencontres qui pourraient me rapprocher de ce nouveau mode de vie.

Je suis partie avec un sac rempli de vêtements, de curiosité et d’espoir. Je rentre de ce voyage avec les mêmes vêtements (à peu de choses près), mais surtout avec de nombreuses leçons sur la vie en écolieu, un immense élan de partager ce que j’ai vécu et un enthousiasme grandissant pour concrétiser mon futur rêvé.

Plongez dans mon sac à dos, pour dénicher les 10 apprentissages clés qui ont transformé ma manière de voir les oasis, et la construction de mon projet pour vivre en collectif.

Berenice, bras tendu, pouce levé, pour faire du stop

1. Vivre en écolieu, c’est pas le paradis

Faire face à la réalité de la vie en oasis

Première leçon : la vie en écolieu, c’est pas le paradis. Eh oui, ça commence fort ! Mais c’était un des apprentissages que je venais chercher. Une des réalités auxquelles je voulais me confronter avec ce voyage : les difficultés, les inconvénients des écovillages. Je veux passer d’un rêve – impalpable, fantasmé – à une réelle vision, un projet bel et bien assumé.

Et j’y ai fait face : l’écolieu, ce n’est pas une utopie parfaite, un conte de fées, un paradis sans soucis. Non : l’écolieu, c’est un choix. Un mode de vie, avec ses avantages et ses inconvénients. Suis-je prête à vivre les inconvénients, autant que je souhaite les avantages ? Aujourd’hui, je peux dire avec plus d’expérience : oui, je le veux 😉.

Petite liste des difficultés du collectif

Bon, voilà une liste en vrac de quelques inconvénients de la vie en éco-communauté, auxquels j’ai fait face, ou que l’on m’a contés. (Liste non exhaustive !)

  • Les travaux. Vivre en écolieu, c’est potentiellement vivre dans les travaux pendant des années, si ce n’est des décennies ! J’ai visité plusieurs lieux qui avaient été achetés après une longue période d’inoccupation et demandent un coup de propre. Parfois, c’est aussi des travaux pour adapter le bâti au projet et sa raison d’être. Bref, quelles qu’en soient les raisons : il y a de la poussière, des outils qui trainent, des pièces pas finies et de la charge mentale latente.
  • L’humain et les conflits. Eh oui ! Quels que soient les outils et rituels qu’on met en place : les conflits sont inévitables. Alors, choisir un quotidien en collectif, c’est accepter les tensions, les désaccords, le travail sur soi et les temps de gestion de conflits. Pour passer du P*tain de Facteur Humain, au Précieux Facteur Humain.
  • Le temps. Vivre en communauté, avec un projet commun : ça prend du temps. Du temps de soin du collectif, du temps d’inertie de groupe, du temps de co-construction, de réflexion, de décision, de mise en action… Ça demande du temps, des responsabilités, parfois de la charge mentale.
  • Les enfants. Vivre ensemble, c’est vivre aussi avec les enfants des autres. Que j’ai voulu des enfants, ou non. Et à ces âges-là, ça fait du bruit, ça prend de la place et de l’attention. C’est une richesse, autant qu’une difficulté parfois.
Photo de la Cabane, une pièce de la Casba réservée au repos et à l'intimité : cosy, avec des canapés et coussins
  • La gestion de l’énergie sociale. Surprise surprise : vivre en collectif, c’est vivre avec des gens. Bon, j’avais pas besoin de 4 mois de voyage pour savoir ça, me direz-vous. Ceci dit, partager le quotidien de différentes communautés m’a permis de mieux appréhender les enjeux liés à la fatigue sociale – fatigue qui peut ressortir à force de voir trop de monde, tout le temps. Et ce, à l’échelle individuelle (ça a été un vrai défi pour moi !) comme à l’échelle du groupe (avec des réflexions pour ne pas accueillir en continu par exemple). Le burn-out collectif est un sujet à prendre en compte pour les lieux communautaires, en particulier ceux avec une activité d’accueil : préserver des temps sans accueil (cela a été mis en place à la Caserne Bascule et à l’Arche de Saint-Antoine), des temps sans activités proposées, des pièces pour s’isoler (La Cabane, à la Caserne Bascule), etc.
  • Les arrivées et départs. Dans la majorité des collectifs, il y avait régulièrement des changements dans les habitant.e.s. Ces déménagements s’anticipent, avec des processus d’entrée et de sortie par exemple. Mais aussi, de manière moins cadrée et formelle, par le défi de trouver la résilience du groupe dans ces changements, de préserver l’essence du projet et l’âme du collectif. (La suite dans l’apprentissage n°7 😉)
  • Le cadre. Vivre ensemble, c’est s’inscrire dans un cadre (plus ou moins défini et affirmé). Des normes et habitudes spécifiques au groupe. Cela peut s’accompagner de compromis, de perte d’une certaine liberté d’action au profit du soin du groupe. Un jeu d’équilibriste entre le JE et le NOUS.

Et justement…

2. Le Nous avant le Je, le jeu avant les nœuds

Des adhérents et adhétentes de la Casba, en cercle devant le batiment
Un cercle pour clore l’assemblée générale, à la Caserne Bascule

Le Nous avant le Je

Choisir de vivre en communauté, c’est revenir quelques décennies en arrière.

Avant l’émergence de l’individualisme, du “chacun sa maison, sa voiture et son chien”, de la quête incessante de “la meilleure version de soi-même”, du bonheur créé par soi et pour soi, car on en est seul.e responsable.

C’est redevenir un élément du groupe, un élément du monde. C’est redevenir un NOUS avant le JE. Savoir construire une interdépendance saine, plutôt qu’une quête d’indépendance qui coupe le lien, ou qu’une dépendance qui dévore.

Choisir de vivre en communauté, c’est marcher sur le fil de l’équilibre entre co-responsabilité et souveraineté.

  • Co-responsabilité : je suis co-garante du bon fonctionnement collectif. Je fais ma part. Avec la conscience que : Si je ne le fais pas moi, sur qui ça retombe ?
  • Souveraineté : et en même temps, je suis la meilleure personne pour connaitre mes besoins et savoir comment les combler. Pour identifier et poser mes limites, et ne pas les dépasser.

Vivre ensemble, c’est savoir, parfois, au bon moment, remettre le groupe comme priorité. Alors même que les injonctions new age nous invitent à devenir notre propre (voire notre seule) priorité. C’est prendre le temps pour prendre soin du collectif, c’est assumer des tâches et responsabilités, c’est parfois sortir de sa zone de confort pour se mettre au service du projet, c’est accepter de faire confiance au groupe et ses individus, c’est se bouger pour aller faire le ménage collectif même si franchement j’avais juste envie de trainer au soleil… Bref, le Nous, avant le Je, avec justesse et équilibre.

Le jeu avant les nœuds

J’ai aussi appris (ou expérimenté ce que j’avais déjà lu) que l’humain doit passer en priorité. Bien avant les processus, les réunions, les considérations matérielles et la to do list. D’abord : la Tout Doux List. Pour vivre sainement en écolieu, il est indispensable de créer du Nous, prendre soin du collectif et ses individus.

Concrètement ?

  • Instaurer des rituels pour se partager régulièrement “comment ça va, vraiment ?”, pour exprimer les tensions ou craintes, pour rendre visibles nos besoins individuels sans attendre que l’autre les devine.
  • Créer des temps pour célébrer, pour rire, pour faire connaissance.
  • Préserver les temps informels et les séparer des réunions (on connait ce repas qui tourne au débat sur le papier toilette).
  • Etc.
Un groupe de personne célèbre en dansant, à l'extérieur, à l'Oasis des Ages

Sinon ? Stress, tensions, craintes, postures de défenses, surcharge… Jusqu’à l’explosion. On perd le plaisir, et on finit par ne même plus avancer sur les considérations matérielles !

3. La vie en collectif n’est qu’un moyen

Vivre ensemble, oui, mais pourquoi ?

Une autre évidence qu’il est bon de rappeler, pour ne plus la perdre de vue.

« La communauté n’est pas un but, elle est un moyen. […] La communauté est faite pour être au service de son temps, comme moyen de transformation personnelle et sociale. Une communauté doit être au service. »

Margalida Reus, 2018, Arche de Saint-Antoine

J’étais à l’Arche de Saint Antoine quand j’ai lu cette citation.

Et je me suis rendu compte que mon raisonnement n’était pas complet ! Je dis sans cesse combien je veux vivre en collectif. Oui, mais pourquoi ?

Je veux vivre en communauté… Pour incarner et partager des alternatives durables, joyeuses, respectueuses du vivant et de l’humain. Je veux vivre en écolieu… Pour transformer un territoire, grâce à l’intelligence, l’élan et la force du groupe.

Et toi ?

L’importance de la raison d’être

À l’Oasis du Suchel, j’ai compris combien la raison d’être était un fondement, un ciment des projets d’écolieux.

Le projet a débuté en 2013 autour d’un groupe d’ami.e.s, sans intention collective vraiment définie. Après l’achat du lieu, et 7 ans de travaux… La fracture d’une façade a entrainé la fracture du collectif. Il était devenu impossible d’ignorer la divergence des raisons d’être. (Je raconte l’histoire de la ferme du Suchel plus en détail dans cet article témoignage). Seules 2 personnes sont restées dans le projet, pour porter leur raison d’être et fonder un nouveau collectif.

Alors, je note ça précieusement pour plus tard : pour lancer un écolieu, il faut se réunir autour d’une raison d’être, pas vouloir à tout prix lancer le projet avec des ami.e.s.

4. Les écolieux et communautés, c’est pas magique, mais quand même : ça change le monde

Solution incontournable : La résilience à l’échelle des territoires

Je suis partie à la découverte des écolieux avec les paroles d’Arthur Keller en tête :

« Une solution systémique se travaille au niveau territorial, local. On réinvente nos modes de vie, on sort de l’entre soi, on réinvente notre rapport au vivant. On crée la résilience du territoire […]. Puis, on raconte les transformations territoriales réussies, pour inspirer, les diffuser, et que ce soit répliqué dans d’autres territoires. »

Arthur Keller

Les écolieux, les tiers-lieux, c’est ça. Ce ne sont pas des lieux coupés du monde. Pas des lieux qui créent une autonomie en entre-soi, qui sauvent leur bout de gras. Non. La grande majorité du temps, ce sont des communautés ouvertes sur leur territoire et sur le pays – en tout cas, ce sont ces lieux qui m’inspirent et me donnent de l’espoir. Ces projets collectifs qui s’inscrivent dans une dynamique territoriale et la nourrissent en retour.

Créer ou soutenir la résilience du territoire, toujours d’après Arthur Keller, c’est :

  1. Produire au niveau territorial la réponse à nos besoins essentiels (alimentation, énergie, mais aussi lien social).
  2. Organiser le système social local : dans les prises de décision, les échanges, etc.

Vivre en écolieu change le monde

Et là… J’ai vu que c’était possible. Vraiment possible.

De wwoofing en wwoofing, j’ai été émerveillée, galvanisée de voir l’impact qu’une oasis peut avoir sur son territoire. J’ai repris espoir en constatant ce qu’un collectif peut accomplir, en seulement 2 ans comme en 37 ans.

Les lieux les plus inspirants sur ce point :

  • La Caserne Bascule, à Joigny (Bourgogne). En moins de 2 ans, le groupe a dynamisé les initiatives locales, organisé un festival et d’autres occasions pour créer du lien sur le territoire, créé et co-animé un café associatif, fait s’installer une trentaine de personnes dans la ville… Au point que le maire est venu les soutenir, les remercier avec enthousiasme en sincérité lors de l’assemblée générale !
  • Le Battement d’Ailes (Corrèze), qui catalyse tout un écosystème territorial autour des enjeux sociaux et environnementaux. Le lieu et son collectif permettent, entre autres, à de nombreuses associations d’exister ou de perdurer.
  • Et aussi l’Arche de Saint-Antoine et ses engagements pour la non-violence, le Hameau des Âges et son défi de redynamiser une zone rurale, Graines de Buisson et La Ferme du Suchel qui militent par une production maraichère ultra locale, etc.

Et pourtant, c’est pas magique

Et en même temps, ce n’est pas gagné d’avance.

Souvent encore, les écolieux travaillent une résilience à l’échelle micro-locale. Mais le potentiel est là. Les exemples, les preuves du possible sont là.

Alors oui : tous les écolieux ne transforment pas leur territoire en 2 ans seulement. Par exemple, La Caserne Bascule et le Hameau des Âges ont une ancienneté similaire (création autour de 2021) et une culture commune (celle de Fert’îles et du mouvement de la Bascule). Pourtant, leur ancrage territorial est très différent : alors que la Caserne contribue indiscutablement à la résilience du territoire, le Hameau peine pour l’instant à rassembler les locaux au café associatif. Car le contexte est différent, la taille du groupe aussi, les enjeux et engagements financiers n’ont rien à voir, etc.

Vente de plants à la pépinière : un auvent en bois et tissu et des personnes déambulent entre les plantes
Vente de plants en cours !

Changer le monde, en commençant par son territoire, ça demande des ressources, de l’élan !

  • Une raison d’être claire.
  • Un collectif soudé, transporté par cette raison d’être.
  • Des outils et une culture de coopération, de passage à l’action.
  • Et plein d’autres éléments aidants, comme le soutien politique, le financement, la localisation, etc.

Mais, j’y crois. J’y crois foncièrement à ces collectifs, ces hommes, ces femmes, ces personnes qui se rassemblent pour faire groupe. Pour vivre ensemble, construire ensemble, créer ensemble.

En quelques mots… Avec une raison d’être claire, un groupe engagé et les bons ingrédients : oui, les écolieux, ça change le monde. Mais c’est pas magique non plus.

5. La vie en écolieux : un truc de blancs, riches, valides

Ça change le monde… Et pourtant : les oasis restent une dynamique réservée à une certaine tranche sociale. Au cours de mes visites, j’ai bien constaté que j’avais globalement affaire à une population blanche, éduquée, valide, aisée financièrement, avec le privilège de pouvoir s’arrêter de travailler pour mener sa quête de sens (et j’en fais partie !). J’ai parfois entendu les collectifs se soucier du manque d’inclusivité, chercher des solutions. Car, tout en sachant qu’il est délétère de rester entre-soi, de créer une fracture de classe… Ces éco-communautés ont souvent du mal à attirer une véritable diversité de personnes.

En fait, l’inclusivité et le mélange des publics ne se font pas tout seuls. Il ne suffit pas de se déclarer inclusif et ouvert à toustes pour que la diversité accoure dans vos couloirs. En réalité, il y a besoin de réels projets, de dispositifs spécifiques pour que ces différents publics se sentent invités, accueillis, concernés. Il y a besoin de créer l’excuse de la rencontre, de mettre la vocation sociale ou la diversité au cœur des réflexions et aménagements.

Comment les écovillages cultivent la diversité ?

Quelques exemples de lieux où j’ai observé davantage de diversité.

  • Le Battement d’Ailes, qui héberge une association faisant de l’accueil de migrants. Le Collectif y dédie donc des logements, espaces et ressources (humaines et financières).
  • Le Bidouill’Art, dont la plupart des logements sont réservés à l’accueil solidaire.
  • L’Arche de Saint-Antoine, avec un système d’accueil solidaire qui permet d’ouvrir le lieu à des publics précaires (pendant ma visite, il y avait 2 familles immigrées par exemple). D’ailleurs, dans les couloirs de l’abbaye, une large diversité de personnes se mélange : de nombreuses nationalités différentes (y compris dans le groupe fondateur), des personnes à mobilité réduite (le lieu y est adapté !), des personnes de 0 à plus de 90 ans… Est-ce que l’ancienneté du lieu aide ? (Cela libère des ressources pour accompagner, prendre soin, ouvrir des espaces dédiés, etc.) Ou est-ce l’aspect spirituel qui nourrit cette valeur d’accueil ?

Le manque d’accessibilité des oasis

Un des freins à la diversité est l’accessibilité des écolieux. Trop souvent, la voiture est incontournable pour se rendre sur place. Au mieux, il faut marcher une heure ou deux sur les derniers kilomètres. Bref : impossible pour de nombreuses personnes !

Une grosse réflexion sur la mobilité est menée par plusieurs oasis, qui se sont excentrées des villes pour avoir du terrain. Par exemple, la Ferme du Suchel et le Hameau des Âges. Tant pour l’enjeu d’inclusivité, que pour le climat.

Vous êtes toujours là ? Alors, RDV dans la partie 2 pour la suite des apprentissages, avec un focus sur le quotidien en écovillage et oasis : qu’est-ce qui guide les différences d’un lieu à l’autre ? Comment ça se traduit concrètement ?

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