Cet été, c’est au Battement d’Ailes que s’est tenue la 9e édition des Rencontres Nationales de la Permaculture, organisée par l’association Brin de Paille. Du jeudi 17 au dimanche 20 août 2023, quelques centaines de personnes se sont réunies sur ce lieu magique, en Corrèze, pour refaire le monde…
Crissement métallique, arrêt de la rame, ouverture des portes. Nous voilà à la gare de Cornil. Le quai est désert, le soleil tape et nous devons encore trouver une solution pour nous rendre au Battement d’Ailes. Ce lieu accueille cette année les Rencontres Nationales de la Permaculture ! Et déjà, l’esprit de l’événement infuse sur le quai de la gare : nous trouvons un petit panneau, griffonné à la main. « Besoin d’une navette pour vous rendre aux RNP ? Appelez ce numéro ! ».
Quelques minutes plus tard, c’est David, du Battement d’Ailes (BdL pour les intimes), qui répond gentiment présent à la mission navette (nous évitant ainsi 1 h de marche, en montée, sous le cagnard !). On profite des quelques minutes de voiture pour échanger sur l’association… Et voilà notre hôte lancé dans un difficile exercice : résumer, en quelques phrases, ce projet qui rythme sa vie depuis des années.
Le Battement d’Ailes, c’est un lieu pour expérimenter, pour accueillir ou co-créer un projet, pour apprendre, pour tisser du lien… Depuis 2005, la dynamique s’est progressivement étendue à toute la colline de Lauconie. Maintenant, le Battement d’Ailes est plus qu’un lieu : c’est le maillon d’un écosystème de 10 associations.
Pour l’instant, nous n’en saurons pas plus : nous sommes déjà arrivé⋅e⋅s ! Remerciements, passage au camping pour poser les sacs, premiers sourires croisés… Et nous voilà en direction de l’accueil.
Les Rencontres Nationales de la Permaculture : qu’est-ce que c’est ?
Des visages souriants nous accueillent et nous expliquent le principe de l’événement.
Les RNP, c’est le rendez-vous annuel des acteurs et actrices de la permaculture en France.
4 jours (ou plus pour les bénévoles du montage et démontage !) pour allier rencontres inspirantes, apprentissages concrets et retour à l’essentiel.
Un événement un peu particulier dans sa thématique, mais surtout dans son fonctionnement. C’est ensemble que nous construisons ces rencontres : la logistique quotidienne, les ateliers, les moments conviviaux… Il s’y passe ce que les participant⋅e⋅s décident d’y faire.
Explications faites, nous décorons chacun⋅e un fin tronçon de bois, en guise de badge… Avant de nous lancer à la découverte des lieux.
Différents espaces, pour faire de cet événement de permaculture une réussite
Nous foulons alors, pour la première fois, ces différents espaces qui deviendront bientôt nos habitudes.
- Derrière l’accueil, nous identifions rapidement le coin cantine. Fidèles au poste depuis quelques années, ce sont Soraya et Julien qui assurent l’ambitieuse mission de nourrir les participant⋅e⋅s… De manière éthique ! Au programme : des menus 100 % vegans, aussi parfumés que généreux, et proposés à prix conscient. Cerise sur le gâteau (sans lait !) : chaque repas est préparé dans la bonne humeur, avec l’aide des bénévoles.
- Sur notre droite, un chapiteau bleu hébergera les agoras, deux fois par jour. Ces temps de réunion collective permettent de transmettre les infos essentielles aux participant⋅e⋅s, de distribuer les tâches bénévoles et d’annoncer le programme de la journée.
- Un peu plus loin se dresse le bâtiment principal… Et surtout, le bar, d’où nous parviennent déjà des parfums de convivialité et le son des rires à gorges déployées.
- Derrière la porte se trouve une épicerie autogérée, que les participant⋅e⋅s pourront expérimenter le temps d’un week-end.
- Nous virons à droite, passant entre les haies, pour dénicher des yourtes de différentes tailles et différentes couleurs. Bientôt, nous y vivrons ateliers pédagogiques et conférences passionnantes.
- Entre les arbres, nous apercevons d’autres espaces, inédits pour les RNP. Un coin « chill », où canapés et fauteuils s’offrent une seconde vie, nous appelant à la sieste. Une zone enfants : jeux de bois, slack line et autres agrès pour occuper les familles. Et enfin, la buvette sans alcool ! Un espace entièrement géré par les jeunes, servant limonades et autres boissons fruitées.
Un festival participatif et autogéré
Chacun de ces espaces sera organisé, géré, rendu vivant, et peut-être même amélioré, par et pour les participant⋅e⋅s.
Eh oui : les RNP ont une organisation un peu particulière, puisque c’est un événement autogéré. C’est-à-dire ? Chaque personne est co-créatrice des rencontres.
- Les ateliers sont proposés et animés par les participant⋅e⋅s.
- Les règles peuvent être choisies, discutées, ajoutées collectivement.
- Les tâches sont assurées bénévolement par les participant⋅e⋅s… Ou ne le seront pas !
En fait, l’auto gestion, c’est ne pas attendre que les organisateurs⋅rices – ou que quelqu’un d’autre – mettent en place ce que tu voudrais voir mis en place. Un besoin se fait ressentir ? Chaque personne peut s’en saisir, proposer un groupe de travail et chercher une solution à plusieurs.
Pour s’assurer que l’événement tourne rond, on fait donc une agora deux fois par jour. Rassemblement général ! C’est l’occasion de transmettre les infos nécessaires, rappeler les règles de vivre-ensemble, distribuer les tâches bénévoles, et annoncer les différents ateliers pour la demi-journée.
Au fil des jours, de multiples affichages participatifs font leur apparition dans la tente d’agora : tableau de petites annonces, partage de livres et ressources, rappel illustré des règles de vivre-ensemble, etc.
« La permaculture, sans questionner les oppressions, c’est du jardinage ! »
Soin de l’humain, un pilier de permaculture à prendre en compte dans l’organisation
Cette année, les RNP ont abordé de front notre rapport aux oppressions et aux privilèges. On arrive à l’événement, avec nos sacs à dos remplis de la culture de discrimination dans laquelle on évolue chaque jour. Plus ou moins visibles, plus ou moins consciemment… Ces rapports de pouvoir s’immiscent dans nos habitudes, comportements et paroles. Et si ces 4 jours étaient l’occasion d’expérimenter une autre forme de société ? Et si ces 4 jours étaient l’opportunité de prendre conscience de nos mécanismes sexistes et discriminatoires ?
Parce que, comme le dit si bien Léo, bénévole de l’association En Corps : « La permaculture, sans questionner les oppressions, c’est du jardinage ! »
Le dispositif de soin mis en place lors des RNP 2023
Alors, cette année, Brin de Paille et Le Battement d’Ailes se sont associées à En Corps pour mettre en place un dispositif de soin et consentement. Le principe ? Différents moyens sont mis en place pour nous questionner et nous protéger des oppressions.
- Des affichages de sensibilisation autour du consentement, du rapport au corps et à la sexualité. Ces affiches présentent aussi un n° d’appel en urgence.
- Des « brassards d’invisibilité » répartis sur le site : il suffit de l’accrocher au bras pour signaler qu’on ne souhaite pas avoir d’interaction sociale… et s’offrir un moment de pause.
- Des anges disponibles à tout moment. Ce sont des bénévoles (volontaires parmi les participant⋅e⋅s et formés avant ou pendant les RNP) qui veillent au bien-être de toustes. Iels peuvent intervenir sur demande ou en cas de besoin, ou encore offrir une écoute attentive pour déposer des émotions difficiles.
Cela ne fait aucun doute : cette initiative a fait parler d’elle pendant l’événement ! Cela a permis de planter des graines de féminisme et d’inclusivité parmi l’audience. On a pu, ensemble, prendre conscience de certains comportements oppressifs ou discriminatoires, à différentes échelles et de différentes gravités, qui étaient reproduits au sein même des RNP… Et du monde permacole.
Un geste de communication non verbale pour l’inclusivité !
Lors d’une agora, les anges ont proposé d’utiliser un petit geste comme outil de communication non verbale. À emporter chez vous, et utiliser sans modération !
Lorsque vous identifiez un comportement ou des paroles discriminatoires, vous pouvez le signifier avec bienveillance à la personne autrice et aux autres participant⋅e⋅s. Pour cela, formez « i » comme « inclusivité » avec les mains (l’une tendue vers l’autre qui forme un rond) — bien en hauteur afin d’être visible de toustes.
Nous sommes tellement bercé⋅e⋅s dans une culture discriminatoire : les maladresses sont courantes ! Ce geste n’est en aucun cas un moyen de dénoncer, mais plutôt un outil d’entraide, de vigilance collective et de prise de conscience très efficace… et qu’il est bien possible d’utiliser en d’autres circonstances.
Une journée aux RNP : un événement à la sauce permacole
Aux Rencontres Nationales de Permaculture, on commence la journée à la sauce permacole ! Toilettes sèches, douches avec de simples seaux d’eau froide et dynamique zéro déchet. Le petit déjeuner est servi à la buvette des jeunes, avec le pain préparé le matin par les volontaires les plus lève-tôt…
À 9 h, le chant du loup résonne entre les haies : c’est l’appel de l’agora ! 1 h pour transmettre les infos essentielles et planifier la journée… À 10 h, les volontaires vont vider les toilettes sèches, vérifier le tri des déchets, aider en cuisine, garder le coin enfants, etc. D’autres participant.e.s profitent de la large palette d’ateliers, sur toutes les branches de la permaculture : démonstration d’outils de coopération et gestion de conflits, visite du terrain ou de la ferme médicinale, partage d’expérience autour des éco lieux, de techniques de maraîchage ou de greffe…
12 h 30, l’effluve des épices nous font lever le nez, et l’appel du ventre se fait sentir… RDV au coin cantine, où des volontaires assurent le service (une fois de plus, l’auto gestion en action !).
À 14 h, deuxième agora de la journée, deuxième temps de bénévolat et poursuite des ateliers l’après-midi.
Le soir à 19h, se libéraient les paroles boxées. Avec les années, elles sont devenues une institution des RNP… Le protocole est simple : toute personne peut venir s’exprimer au centre, 5 minutes maximum, une seule fois par personne, et avec la garantie de ne pas être interrompu. Enfin un endroit où l’on s’écoute, ça fait du bien !
En un clignement de paupières, c’est déjà la fin de la journée. On se souviendra tous et toutes des dîners colorés, face au coucher de soleil sur la vallée boisée… Les ventres bien remplis, la soirée se poursuit immanquablement de manière festive. Bal folk, jam de musique ou concert permettent de se rencontrer autrement… Avant une nuit bien méritée.
En tente, en van, en camping car ou même en hamac : là encore, la frugalité se décline en une palette de possibles…
Voilà. Déjà 4 jours d’écoulés ! 4 jours où nous expérimentons et incarnons d’autres moyens de faire société. 4 jours où nous nous essayons à la frugalité, l’auto-gestion et le participatif à toutes les sauces. Les rencontres se concluent par un dernier rassemblement de célébration. Gratitude exprimée, souvenirs remémorés, sourires échangés… Bientôt, le groupe se dissout progressivement, en se souhaitant bonne route, et surtout… À l’année prochaine !
Ceci est un extrait de l’article que j’ai rédigé pour Passerelle Eco, revue emblématique du monde permacole et des écolieux. Retrouvez l’intégralité de l’article dans la revue de septembre 2023 !
Pour aller plus loin :
- Association En Corps Corrèze : encorps19.wordpress.com
- Association Brin de Paille : brindepaille.permaculture.fr
- Association Le Battement d’Ailes (19) : lebattementdailes.org