Le mouvement antispéciste (dont les vegans) refuse tout produit issu de l’exploitation animale. Le miel en fait partie. En parallèle, les abeilles doivent faire face à de nombreux dangers : biodiversité en baisse, anthropisation des milieux, cocktail de pesticides et prédateurs venus de l’étranger. Est-ce donc bien raisonnable de boycotter l’or des ruches, alors que les abeilles manquent déjà cruellement à l’écosystème ? Miel et écologie sont-ils compatibles ? La production de miel est-elle plus néfaste ou bénéfique pour ces pollinisateurs et pour l’environnement ? Consommer du miel peut-il être un acte engagé ?
D’abord, reposons le contexte : qu’arrive-t-il à ces pauvres abeilles ?
Alors que les abeilles se nourrissaient autrefois du pollen sur les champs ou dans les prairies, elles sont aujourd’hui affamées par l’agriculture intensive.
À ce maigre repas s’ajoutent les pesticides et insecticides omniprésents.
Bien que les pesticides soient soumis à une régulation, leurs interactions ne sont pas étudiées. Et pour cause ! Il y aurait bien trop de tests à mener. Les abeilles sont donc victimes du cocktail de produits chimiques, dont les effets s’additionnent et même s’intensifient probablement les uns les autres.
Les abeilles sont parfois importées près des champs pour en assurer la pollinisation. Cela ne pose pas de problème sur des exploitations bio ou raisonnées. En revanche, sur des champs utilisant de grandes quantités de pesticides, les abeilles sont sacrifiées !
C’est le cas des amandiers en Californie, loin d’être écologiques : plus de la moitié des abeilles du pays sont amenées sur les champs pour assurer la fécondation des amandiers. En plus du stress dû au transport, elles sont victimes des produits chimiques utilisés sur place et du manque de diversité… Elles meurent prématurément (6).
Je nuance tout de même car la France a la « chance » d’avoir de nombreuses terres qui ne peuvent être cultivées – car elles sont inaccessibles, trop vallonnées ou saturées en eau.
En revanche, les abeilles ne vivent pas dans les forêts ou les marais, lieu de refuge de nombreux insectes face à l’artificialisation des terres (plus d’1/3 des terres non urbanisées) (1)(2).
D’après le scénario Afterre 2050, chaque année la France urbanise 60 000 hectares de terres (2).
Heureusement, les abeilles se portent mieux en ville que dans les campagnes. Et ce pour plusieurs raisons.
Les abeilles sont donc dépendantes des choix agricoles. Certains font des choix écoresponsables… D’autres font le choix de la productivité, au prix de l’environnement et ses habitants. Utilisation de pesticides ou de méthodes naturelles, grandes cultures à faible biodiversité ou agroforesterie, plantes hybrides ou graines paysannes, monoculture ou rotation et mise en jachère, implantation volontaires de ruches, etc.
Comme si cela ne suffisait pas, la mondialisation a ajouté des prédateurs de taille. Le frelon asiatique par exemple. En 2004, ce tueur d’abeille est discrètement passé dans un conteneur de marchandise, s’est implanté dans le sud de la France et remonte progressivement vers l’ensemble du pays (3). De la même manière, le varroa destructor sème la terreur chez les apiculteurs depuis quelques années.
À lire aussi : Disparition des abeilles, un désastre pour l’humanité.
La protection des abeilles est pourtant un enjeu de taille pour le développement durable.
Miel et écologie sont compatibles lorsque la production prend soin des abeilles. Pourquoi ? Car ces pollinisateurs sont indispensables à l’équilibre des écosystèmes.
Or les abeilles sont essentielles à la vie ! Elles font partie des insectes pollinisateurs : en butinant les fleurs, elles en transportent le pollen et fécondent les plantes alentours. Cela entretient la biodiversité, la reproduction naturelle des végétaux et donc la chaine alimentaire.
80% des espèces végétales du monde seraient ainsi pollinisées par les abeilles ! (4)
Que fera-t-on quand il n’y aura plus d’abeilles ? Si les pollinisateurs venaient à manquer, il faudrait qu’on pollinise nous-même. Soit à la main – je vous raconte pas le boulot – soit avec des milliards de petits robots. Le tout pour des prix astronomiques, dans des conditions absurdes, consommatrices de ressources et déséquilibrant l’écosystème… Alors que Dame Nature nous offre la solution sur un plateau d’argent : les insectes.
De plus en plus d’exploitants de vergers installent des ruches pour assurer une pollinisation efficace des arbres et augmenter leur productivité. (Cherchez entre autres le label « Verger Ecoresponsable » (5)).
Les abeilles sont de plus en plus souvent appelées les « sentinelles de l’environnement ». Et pour cause : la santé et prolifération des abeilles sont directement liées à la qualité des écosystèmes. En dehors d’une météo défavorable, le déclin des ruches sur une zone donnée est représentatif des plantes locales (hybrides ou non), des pesticides utilisés, etc. Les cultures certifiées biologiques sont par exemple plus favorable au développement des abeilles que les cultures conventionnelles, par l’absence de produits chimiques de synthèse.
Certains avancent que miel et écologie sont incompatibles. Ou plutôt, que miel et cause animale sont incompatibles ! Voyons cela…
Aujourd’hui, le biotope est tellement dégradé, tellement hostile aux abeilles et les prédateurs tellement dangereux… Que les abeilles ne peuvent (presque) plus survivre sans apiculteurs ! Ces derniers soignent les abeilles, placent éventuellement la ruche dans un lieu stratégique, les protègent du froid, etc. Et cela n’est possible qu’à une condition : que les consommateurs demandent du miel écologique pour que les apiculteurs puissent gagner leur vie.
Les végans ont tout de même raison concernant certains arguments contre la production de miel. Lorsque c’est mal fait, de trop grandes quantités de miel peuvent être extraites de la ruche. Ne laissant pas suffisamment de réserves pour passer l’hiver, l’apiculteur malveillant pourra compenser en ajoutant du sirop de glucose. Bien moins nutritif, les abeilles sont alors en danger et une plus haute mortalité sera observée.
Certains disent également que la production est stressante pour les abeilles, qui ne voient pas leurs réserves de miel augmenter proportionnellement à leur travail.
En réalité, la ruche est divisée en deux parties au moins : le corps de la ruche (la maison des abeilles) et les « hausses », les greniers.
Avis donc à ceux qui boycottent le miel pour éviter l’exploitation animale : vous feriez peut-être mieux de consommer du miel écolo que des super-aliments destructeurs, non ?
Mais du miel écologique, ça veut dire quoi ?
L’or de la ruche est délicieux pour sucrer des gâteaux ou des salades de fruits, pour ajouter une touche d’originalité dans des plats, pour adoucir le goût de certains légumes tout en ajoutant une saveur caramélisée…
Si on n’aime pas le goût du miel, on peut le consommer pour ses nombreuses vertus : antibactérien, conservateur naturel, bon pour la peau et les cheveux…
Alors pourquoi s’en passer ?
Attention cependant. Miel et écologie ne sont pas toujours compatibles : il faut soigneusement choisir les apiculteurs que l’on soutient.
Attention aux miels de grandes surface, coupés avec du sirop de glucose ou du miel chinois. Il faut porter une grande attention au choix du miel.
Vérifiez bien les étiquettes car ces arnaques au consommateur arrivent aussi dans les miels bio ! (Bio, mais cheap en supermarché…)
Malgré tout, vous ne voulez pas consommer de miel écologique ? Bon, trouvons d’autres manières vegan-friendly pour soutenir les pollinisatrices !
Certaines abeilles ne produisent pas de miel mais sont de très bonnes pollinisatrices. Parfois même plus efficaces que la Mellifera mellifera que nous connaissons. Certaines ne piquent pas, comme les abeilles maçonnes !
On peut donc installer un nid de ces abeilles dans notre jardin, afin de soutenir une pollinisation naturelle sans consommer de miel ni risquer les piqures (rendez-vous sur BeeHome !)
On peut également veiller à planter des fleurs mellifères dans son jardin, sur son balcon voire au milieu du gazon. Pour qu’elles soient appétissantes pour les pollinisateurs locaux, choisissez des plantes endémiques, adaptées au terroir.
N’oubliez pas : pour prendre soin des abeilles (mais aussi des autres insectes et de l’incroyable biodiversité du sol !), consommez dès que possible des produits cultivés avec peu de produits chimiques. Pour les produits non labellisés, le mieux reste de demander au producteur lui-même ou de visiter l’exploitation.
À lire aussi : 4 critères pour adopter une alimentation écologique.
Bon, a priori, on peut allier miel et écologie.
Quid de la gelée royale et de la propolis, survendues pour leurs qualités médicinales et nutritives ?
Contrairement au miel écoresponsable, la récolte de gelée royale ou de propolis est donc une véritable intrusion dans la ruche, fatigante pour les abeilles et consommatrice de ressources. A éviter, ou consommer avec parcimonie.
Voilà un petit résumé sympa pour retenir l’essentiel de cet article sur les liens entre miel et écologie.
Pour moi, il est déraisonnable de cesser de consommer du miel pour l’écologie. C’est même contraire à la cause animale vu l’impact considérable des abeilles sur l’écosystème. Avis aux personnes l’ayant banni : s’il vous plait, songez à réintégrer du miel écoresponsable dans votre alimentation ! Ne suivez pas d’idéologie toute faite et sachez nuancer les propos du mouvement antispéciste – louable par ailleurs.
Et toi, consommes-tu du miel ? D’où vient-il ? Que penses-tu du traitement des abeilles ? Ton avis m’intéresse : RDV en commentaire !
Cet article est issus de recherche bibliographique mais également du témoignage d’un apiculteur passionné, témoin direct du quotidien des abeilles.
(1) Quelle part du territoire français est occupée par l’agriculture ?, site du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, 2011, https://agriculture.gouv.fr/agriculture-et-foret/quelle-part-du-territoire-francais-est-occupee-par-lagriculture
(2) Afterre 2050, Solagro, version 2016
(3) https://vigilance-moustiques.com/vigilance-insecte/frelon-asiatique/
(4) Site duBee Friendly, http://www.certifiedbeefriendly.org/
(5) Site du label Verger Eco Responsable, https://www.lapomme.org/vergers-ecoresponsables/pollinisation-protection-des-abeilles
(6) Les abeilles menacées par la production d’amandes en Californie, Par Morgane Le Poaizard pour Science et avenir, 2016, https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/biodiversite/les-abeilles-menacees-par-la-production-d-amandes-en-californie_105277
Images libres de droits sur Pixabay.
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Merci pour l'article c'est très instructif et bien documenté.
Ahhh on en parle des abris à insectes ici ;)
Merci.
Oui, ça y est, ils étaient là ;).
Il manque une info capitale dans cet article, qui intervient dans le choix écolo éclairé et dans le choix éthique vegan, c'est la distinction entre abeilles domestiques (des ruches qu'on connaît) et abeilles sauvages (énormément de races mais nombre en chute libre).
C'est bien la disparition de ces dernières qui posent un problème majeur (leur diversité = compétences différentes de pollinisation, ultra nécessaires à la bonne fertilisation).
Penser compenser cet effet par l'implantation et la valorisation de ruches domestiques partout, c'est une fausse solution. Les abeilles domestiques participent d'ailleurs à la disparition des sauvages (elles mangent leur nourriture, elles sont en trop grand nombre par rapport aux autres, etc.).
Autre chose : mon mari a été apiculteur et il me confirme que l'extrême majorité des apiculteurs extraie évidemment tout le miel (élevages = logique de rentabilité = conflit d'intérêt avec l'idée de respect, de durabilité, d'écologie). Vous pensez bien que quand personne ne regarde et qu'il y a moyen de faire plus d'argent, la psyché humaine (de la majorité des gens) se corrompt / n'en a strictement rien à f... de penser à long terme, de penser "respect", etc. C'est juste une donnée psycho de base.
Les apis "dopent" / compensent l'extraction de miel avec du sucre. Bref, on s'accapare le meilleur et on leur "offre" un substitut de basse qualité histoire qu'elles survivent. C'est aussi ce jeu de dupes que les vegans dénoncent.
Tant que l'humain trouvera complément normal de s'accaparer systématiquement le meilleur, on aura forcément des "problèmes".
Merci pour ce complément ! En effet il est essentiel d'ajouter les abeilles sauvages à l'équation. On peut installer des cabanes à insectes et créer des espaces de diversité dans son jardin (j'en parle dans un autre article d'ailleurs), on peut opter pour des produits de l'agriculture sans pesticides et de conservation (voire régénération !), etc.
Cependant, en choisissant bien son apiculteur, je pense que cela reste bénéfique pour l'écosystème ! Justement de part l'avidité de l'être humain : on a tendance à ne pas protéger la biodiversité dont on ne voit pas l' "utilité", est c'est bien le problème...
J'allais répondre la même chose que vous sur votre premier paragraphe (et visiblement, votre message n'a pas eu de réponse...) car, en tant qu'ancien apiculteur qui a arrêté par conviction antispéciste, je trouve que l'article omet beaucoup de choses, surtout la principale critique. Elle est sûrement omise car elle est très difficilement, voire complètement, indéfendable. C'est d'ailleurs cette critique qui m'a fait arrêter mon activité ! Merci de l'avoir souligné.
Je vous remercie pour vos commentaires. Je note de prendre le temps de revoir cet article en incluant vos apports. Belle soirée à vous !